Vous en réviez?

L'Orient le Jour l'a fait (merci à C... pour cet envoi et cette formulation exceptionnelle). Allez hop, petite journée avec les députés qui sont enfermés au Phoenicia. Dans un style qui aurait rendu vert de rage les copains de Mondanité et Prestige, May Makarem nous relate les lumineuses dialectiques de certains députés qui se tournent les pouces à l'hotel. La vie est vraiment dure pour eux à en croire ce dévoué patriote:

"C'est une situation ruineuse en hommes, en temps et en matériel. Depuis des mois, je n'ai plus pratiqué mon métier. Depuis le 26 juin, je ne suis plus rentré à la maison et, pour aller voir mes filles aux Etats-Unis, j'ai dû faire des acrobaties pour prendre l'avion." Chirurgien cardiologue, député du siège protestant de Beyrouth, le Dr Bassam Chab, réside aujourd'hui à l'hôtel Phoenicia avec trente-neuf de ses collègues.

Snif... Mais passons... Le 'setting'?

Dans un des salons de l'hôtel se sont regroupés les députés Solange Gemayel, Henri Hélou, l'ancien ministre Nicolas Fattouche, Waël Bou Faour, Bassam Chab et, passant en coup de vent, Akram Chehayeb. La question se pose : comment vivent les députés du Phoenicia ?, "bastion des hommes et de la liberté, mais une liberté agressive, sinon elle serait dévorée par la peur", selon le député Fattouche. Que font-ils au cours de cette terrible attente ? Ont-ils l'impression que quelque chose va leur tomber sur la tête ?

Ce qui est bien plus génial, c'est que la journaliste elle-même s'emporte pour créer la féerie de cet évènement, même si parfois dans un style bien lourd...

Trois ans de combats et toujours la même détermination sans faille. Les représentants du peuple ne sont pas près de baisser les bras.
Ils refusent néanmoins de verser dans le tragique, même si d'intenses périodes d'inquiétude alternent avec de longs moments d'optimisme. "La situation est fortement préoccupante, mais nous conservons le moral", observe Solange Gemayel, soulignant qu'en raison des tragédies qu'elle a personnellement vécues [son époux, Bechir Gemayel, a été assassiné juste après son élection à la présidence, en 1982] "[elle connaît] la signification du mot sacrifice et possède en [elle] une force qui [la] pousse à aller jusqu'au bout de [ses] convictions. Après, advienne que pourra."

Elle est pas extraordinaire la formulation de la 'citation' à la mère Solange? Bon; et faut pas trop s'inquieter quand même vu que "ses collègues" garde beaucoup d'humour:

"En tout cas, nous n'avions pas le choix : soit on reste ici, soit on ira dormir aux côtés d'Antoine Ghanem [député antisyrien assassiné récemment]", intervient Waël Bou Faour. Jouant sans cesse la carte de l'ironie et de l'humour, il déclare qu'après tout il est bien ici et qu'il n'a plus à courir les pharmacies pour se faire faire sa piqûre bihebdomadaire : "le Dr Atef Majdalani [député] me l'a faite gratuitement, à domicile."

Et puis il y a ceux qui continue à travailler et qui se "cultive" comme "le député Hélou":

"Mon chauffeur fait des allers-retours entre le Phoenicia et mon bureau, apportant les papiers à signer et les documents à étudier. Il faut bien que le travail continue." Entre-temps, il a déjà lu La Poudrière du Moyen-Orient, les ouvrages de Laurent Gaudé, la biographie d'Edgar Hoover, le Napoléon de Villepin, etc.

De temps en temps Makarem en profite pour glisser une excellente blague:

Beaucoup de députés pratiquent aussi le sport. "Si nous ne remportons pas l'élection présidentielle, je peux au moins garantir que nous gagnerons des médailles aux prochains Jeux olympiques", dit encore Waël Bou Faour, avant de prendre congé.

Mais le plus excellent dans l'article c'est la chute, la fin, une merveille de l'analyse politique (de l'oratoire) et de l'humanisme de ces collègues qui se cultivent à l'hotel. Je met en caractères gras ce qui me frappe le plus comme illustrant l'extraordinaire complexe de supériorité, le chauvinisme, l'absence de toute conscience historique et l'ignorance totale d'une certaine classe politique chrétienne libanaise. Chaque idée, chaque phrase, la structure même de la syntaxe dans ce paragraphe et symptomatique d'une pensée destructrice:

Bassam Chab arrive à ce moment et, dès les premiers mots, on comprend qu'il est contre tout compromis, "car ce serait le prélude à la fin du Liban", estime-t-il. "Il ne doit y avoir nulle concession dans nos décisions, car nous ne menons pas une guerre politique, mais un combat contre une idéologie qui refuse d'être en phase avec son époque, qui va plonger le pays dans les ténèbres du Moyen Age et sonner le tocsin d'un Liban libre et moderne. Nous nous débattons contre un système passéiste, fanatique, médiocre ; contre une culture étrangère qui n'a rien de commun avec notre héritage culturel." Chab réfute même le principe de "ni vainqueur ni vaincu". "Ou je suis gagnant et je vivrai en homme libre ou bien je suis perdant et je quitte ce pays. Un pays où il suffit à une personne d'endosser une tunique pour s'introniser Dieu et décider de me vouer aux gémonies, parce que je bois de l'alcool ou parce que je suis chrétien. Moi je veux une solution définitive au problème du Liban. Je ne veux pas que mes enfants subissent ce que j'endure maintenant. Ils [le Hezbollah] ont libéré le Sud ? Et alors ? Les communistes ont combattu les nazis, mais ce n'est pas une raison pour faire l'apologie d'un système qui a foulé aux pieds les droits de l'homme et qui a été responsable de dizaines de millions de morts."